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Amélie Sabanovic, dessinatrice, aquarelliste, présidente de l’association “Je suis sensible” et invitée d’honneur.
Contemplatrice du vivant, bénévole engagée auprès d’associations de défense de la nature, ou elle-même entrepreneuse et co-fondatrice de structures portant ces valeurs, Amélie Sabanovic évolue crescendo vers un objectif de sensibilisation à l’environnement. Ancrée dans le territoire, elle s’émerveille de ses découvertes animales et botaniques et partage sa passion avec le grand public.
Au crayon, à l’aquarelle ou au fusain, elle représente les détails du monde animal et végétal. Elle fait partie du duo constitué avec son compagnon naturaliste et photographe Guillaume François en tant qu’invité·es d’honneur du 41e Festival de Ménigoute.
AMÉLIE SABANOVIC © GUILLAUME FRANÇOIS
« Je suis dessinatrice, aquarelliste et animatrice nature. J’aime dessiner depuis que je suis toute petite et je me suis mise à l’aquarelle depuis trois ans, principalement sur le terrain. Mon but est de sensibiliser autour de l’environnement et mes passions se complètent en ce sens. Avant tout, c’est le fruit de nombreuses heures de camouflage avec une longue vue et mon matériel de dessin. J’essaie de me limiter au minimum : du papier, quelques pinceaux et ma palette d’aquarelles. Depuis peu je teste le fusain, une technique que je trouve intéressante pour les ambiances de nuit ou avec de la brume. Il m’arrive aussi de m’appuyer sur des photographies de Guillaume pour préciser certaines formes ou mieux distinguer les espèces.
Plus j’apprends sur le vivant, et plus j’ai envie d’en apprendre. C’est ce qui m’a fait passer un BTS en Gestion et Protection de la Nature à Carcassonne. Cette formation a tout un aspect de préservation, de conservation, mais aussi d'inventaire faunistique et floristique. C’est aussi l’apprentissage de fonctionnement de protocoles afin de comprendre comment mettre en place des actions concrètes sur des sites naturels.
Après mes études, je suis revenue dans le Haut-Doubs d’où je suis originaire. Fin 2021, j’ai créé mon auto-entreprise pour sensibiliser à la préservation de la nature et, en parallèle, nous avons co-fondé l’association Je suis sensible avec mon compagnon Guillaume François, naturaliste et photographe. En passant beaucoup de temps sur le terrain, nous avons été témoins de nombreuses problématiques qui affectent les milieux naturels et le monde vivant qui en dépend.

GUILLAUME FRANÇOIS ET AMÉLIE SABANOVIC © GRAND ANGLE PRODUCTIONS FR2
Le spationaute Thomas Pesquet est d’ailleurs venu à la rencontre des naturalistes dans le cadre du tournage du documentaire Thomas Pesquet : Objectif France, réalisé par Vincent Perazio et Xavier Lefebvre. “C’était très fort de lier l’infiniment grand, à l’infiniment petit, tout est intrinsèquement lié”.
Une association pour le vivant
“Je suis sensible” est une association de protection de la nature basée dans le Jura. Agissant en tant que bénévoles, nous utilisons une partie de nos droits d’auteur pour nous permettre de mener des actions de préservation et de sensibilisation de la nature.
Il me paraît fondamental de renouer nos liens avec le vivant, l’art est un magnifique moyen pour y parvenir et s’émerveiller de ce qui nous entoure. Je propose ainsi des ateliers en pleine nature où se mêlent croquis sur le vif et aquarelle. Ils permettent d’affûter son regard sur le monde vivant pour mieux le comprendre et mieux le protéger.
Il s’agit toujours de petits groupes pour ne jamais déranger ni les lieux ni les espèces. Dans le cadre de l’association, nous organisons des sessions immersives, naturalistes, de plusieurs journées et nuits à la belle étoile pour partager l’univers que nous vivons au quotidien. L’idée est de ralentir notre rythme et d’être plus à l’écoute de la nature, c’est l’occasion de développer ses sens, ses connaissances, par exemple, en inventoriant ce que l’on observe et ce que l’on entend. Je pense que l’on protège que ce que l’on connaît, et le fait de nommer ce que l’on observe permet de donner une existence propre à ce qui nous entoure, ce qui nous rend encore plus proche de cette nature dont nous faisons partie.
À chaque affût, il y a toujours quelque chose d’extraordinaire qui se déroule. Même si l’on ne voit “rien”, on vit des moments suspendus. Avoir croisé le regard du lynx a évidemment été une expérience impressionnante. En quatre années, j’ai eu la chance de l’observer trois fois, et de l’entendre feuler. J’ai le souvenir, cette année, d’avoir entendu ses pas dans les feuilles mortes après qu’il ait fait une sieste à une quinzaine de mètres de nous. Ces rencontres passent par une approche éthique, avec le plus grand soin pour ne pas provoquer de dérangement.
Chaque année, nous consacrons plus de 150 jours et nuits par an dans la nature, pour comprendre et respecter l’intimité de ces animaux.
Je suis fascinée par le monde vivant, je m’intéresse aussi beaucoup à la flore locale et notamment aux plantes aux vertus médicinales que je peins souvent depuis les affûts. Le dessin est une approche qui me permet de mieux appréhender ce que j’observe et d’aller au-delà des formes et des couleurs que je vois pour en comprendre les fonctionnements ainsi que les incroyables sensibilités et intelligences que je rencontre. J’aime découvrir chaque plante, comprendre comment et avec qui elle pousse pour entrevoir l’éventail d’interactions qui se créent et c’est dans ces moments-là que l’on se rend compte que tout est lié.
PIC TRIDACTYLE © AMÉLIE SABANOVIC
La force du collectif
Je ne sais pas si c’est parce que j’ai grandi tout proche de la forêt que j’y suis très sensible mais à l’adolescence, je me suis naturellement rapprochée d’associations naturalistes et je suis notamment devenue bénévole au Conservatoire d’Espaces Naturels (CEN) de Franche-Comté et j’ai eu la chance de partager de nombreuses sorties avec un naturaliste, un grand ornithologue que j’estime beaucoup, Dominique Michelat.
Concernant notre association, nous menons, entre-autres, tous les ans, une action avec l’aide de nos bénévoles pour la protection d’une population de salamandres tachetées, victime de collisions routières dans une reculée près de chez nous. De part ses tâches jaunes, l’espèce indique qu’elle est toxique et cela la sauve de beaucoup de prédations, mais ne l’épargne pas des collisions routières. Nous avons donné l’alerte en 2022, et nous avons entrepris, avec le département du Jura, de nombreux inventaires et la mise en place de la fermeture de la route sur les périodes les plus critiques pour elles. Il y a toujours un grand travail sur place pour sa protection. C’est une vraie chance d’avoir des responsables du territoire à l’écoute de ces problématiques et qui essaient de trouver des solutions. Les retours sont bons car la mortalité des populations a été divisée par trois en l’espace de deux ans. C’est déjà très encourageant, mais nous continuons d’y travailler en développant un système unique pour l’espèce.

SALAMANDRE TACHETÉE © ASSOCIATION JE SUIS SENSIBLE
Je crois que ce qui fait que les actions courent sur le long terme, c’est le fait qu’on associe le partage d’informations avec des actions de terrain, les deux me semblent indissociables. Il y a quelques années, le Collectif Citoyens Résistants s'est mobilisé contre un projet de parc photovoltaïque qui prévoyait de raser une magnifique forêt de 200 hectares. Nous avons consacré de nombreuses nuits sur place pour inventorier la vie qui s’y trouvait. Nous avons découvert la présence de la plus petite chouette d’Europe, la chevêchette, qui n’était pas censée être présente à cette altitude. Nous avons fait remonter ces informations et grâce au travail commun de chacun, avec notamment Jura Nature Environnement, cette forêt a pu être sauvée. Lors d’une manifestation pour défendre cette forêt, nous avons érigé une photographie géante (bâche recyclée) d’un Lynx boréal qui vit sur ce territoire. C’était un acte fort et symbolique, comme pour avancer les preuves que la vie se trouve bien juste là, invisible pour beaucoup.

© ASSOCIATION JE SUIS SENSIBLE & CCR
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