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Emma Baus, autrice et réalisatrice
À la question “Qu’est-ce que tu aimerais faire plus tard ?”, une double réponse : pilote et écrivaine. Pourquoi choisir alors qu’on peut combiner deux métiers et faire voyager l’imaginaire en devenant autrice-réalisatrice. Avec persévérance, Emma Baus s’est armée de connaissances en sciences politiques et en histoire de l’art avant de poursuivre son désir de création de nouvelles formes de récits, résolument féministes. Cinéaste prolifique, les idées fusent et le sens du détail est au rendez-vous, avec pas moins de vingt films réalisés ces vingts dernières années. Imprégnée par la nature, entre mer et montagnes des Pyrénées-Orientales d’où elle vient, Emma Baus est présidente du Jury du 41e Festival de Ménigoute.

EMMA BAUS © EMA MARTINS
« Mon port d’attache se trouve dans les Pyrénées-Orientales. Là-bas, mes deux grands-pères m’ont éveillée à la nature. L’un, agriculteur, possédait un chalet à la montagne où nous faisions beaucoup de randonnées. L’autre avait un voilier avec lequel nous découvrions la mer Méditerranée l’été. Puis, adolescente, j'avais deux rêves : devenir écrivaine et pilote d’avion. Les deux se sont progressivement scindés dans la passion pour la réalisation, où j’y retrouve le goût pour l'écrit, le voyage et l’exploration.
À l'époque, je savais déjà que je souhaitais travailler dans le cinéma, mais d’abord, je voulais acquérir un regard sur le monde et la création artistique. Une double formation en sciences politiques et en histoire de l'art m’a permis d'acquérir un moyen de décrypter la société et de préciser mon rapport à l’image. Ces études, qui peuvent sembler éloignées du documentaire, me servent dans mes réalisations. Il est important pour moi d’apporter un regard particulier dans mes œuvres en soulevant des interrogations par la narration et la mise en scène du réel.
Ma vingtaine a été une décennie “laboratoire”, faite de différentes expériences professionnelles comme critique de film et réalisatrice de documentaires radiophoniques sur France Culture. À 30 ans, je me suis tournée vers le cinéma animalier par l'intermédiaire de Jacqueline Farmer et Bertrand Loyer de Saint Thomas Productions. C’est comme ça que j’ai commencé à collaborer sur certains films en tant qu’autrice jusqu’à, petit à petit, me sentir totalement à ma place en devenant réalisatrice.

EMMA BAUS © RÉMI RAPPE
L’intuition cinégénique
Ça fait maintenant une vingtaine d’années que j’écris et que je réalise des documentaires consacrés à la nature et à la science, au départ pour Canal+, puis pour France Télévisions, Arte et différentes chaînes du câble et internationales. Mes thèmes de prédilection tournent autour des interactions entre les humains et les animaux. Ce qui m’amuse le plus, c’est d’explorer des sujets peu ou pas exploités et de trouver des axes originaux en utilisant les outils du cinéma, du tournage au montage en passant par la musique ou encore la colorimétrie. Je suis loin d'avoir épuisé tous mes désirs de récit sur le rapport à la nature, mais c'est vrai que j'aime aussi explorer d'autres thématiques comme par exemple l’archéologie.
Mon rôle est de créer une œuvre qui n'est pas forcément celle que les scientifiques auraient imaginée, ni celle que le grand public attendait. C’est une création à la croisée de plusieurs chemins, faite d’expérience sensorielle, de découvertes et d’émotions, et qui amène à une transmission de savoirs scientifiques. On peut appeler ça de la vulgarisation, ça n’a rien de péjoratif, moi je considère que c’est très important et que nous sommes là pour transmettre des connaissances au plus grand nombre.
Faire un film commence toujours par une curiosité pour un sujet et une intuition cinégénique pour moi. La moitié de mes œuvres naissent de mes propres idées, et l’autre moitié de suggestions de sociétés de production. Dans les deux cas, à partir du moment où je m’engage dans un projet, c’est que j’y trouve un enjeu à défendre. Parfois il y a des évidences, comme quand le producteur Jérôme Duc-Maugé m’a approchée pour faire les épisodes de la série Démocraties animales. Le sujet faisait écho à ma formation en politique et je trouvais passionnant d’aborder les prises de décisions collectives, qui démontrent que ce n’est pas toujours le mythe du mâle alpha qui prime. Il y a aussi des sujets plus personnels, comme Malin comme une chèvre, né après la perte de mon grand-père agriculteur. La Chèvre de Monsieur Seguin était son conte préféré, une ode à la liberté selon lui, et j’avais envie de montrer les capacités fascinantes de ces animaux domestiques.

EMMA BAUS SUR LA POST-PRODUCTION DE SON FILM MALIN COMME UNE CHÈVRE © NORD-OUEST DOCUMENTAIRES
Jongler entre les idées
Développer plusieurs projets en parallèle est devenu une habitude. En général, quand je suis en phase de préparation ou de post-production pour un film, je consacre un quart de mon temps à l’écriture de nouvelles idées. J’aimerais me concentrer sur un seul objectif pendant deux ou trois ans, mais la réalité est que j’ai besoin d’avoir un accord financier pour avancer. En France, quelques chaînes comme France Télévisions, Arte ou Ushuaïa TV proposent des cases de diffusion pour ce genre de films. Alors il y a des périodes idylliques, où les réalisations s'enchaînent année après année, et parfois ce n’est pas le bon moment car un projet similaire s’est déjà fait récemment. Le métier de réalisatrice, c’est aussi des projets qui restent dans les tiroirs et qui finissent par aboutir ou non.
La particularité du film nature est qu’il n’est pas forcément daté. C’est gratifiant de voir une narration qui fonctionne encore après des années. Je pense par exemple à Trois Petits Chats, que j’ai réalisé en 2015, et qui continue encore à tourner. En général, les droits de diffusion d’un film sont négociés pour dix ans, mais ils viennent d’être reconduits par le distributeur. Il y a aussi les festivals où j’ai la chance d’aller présenter mes réalisations. C’est autre chose de rencontrer le public en vrai, et pas seulement de recevoir un texto disant que quelqu’un a vu mon travail. Lors de séances jeune public il y a toujours énormément d’enfants, parfois j’ai pu entendre : “C’est le meilleur film que j’ai vu de toute ma vie !”.

EXTRAIT DU FILM TROIS PETITS CHATS D’EMMA BAUS © NORD-OUEST DOCUMENTAIRES
50/50
Longtemps, j'ai pensé qu'il n'y avait aucun souci à être une femme dans l’audiovisuel et le cinéma. Je suis entrée dans ce monde via des femmes, avec Jacqueline Farmer, Anne Labro, Caroline Glorion, Sylvie Randonneix... Je me disais que c’était génial. Et puis, je me suis rendue compte que ce n’étaient que des hommes qui faisaient les prime time dans l’animalier. J’ai tenté ma chance, mais j’ai essuyé un refus, puis deux, puis trois. Il y avait déjà peu d’autrices et réalisatrices dans le milieu, mais en plus on n’avait pas accès à ce type d’opportunité. Je pense que c’est en créant des données chiffrées sur la parité, comme le font Le Collectif 50/50 ou Nous, réalisatrices de documentaires, que nous pouvons rendre le problème visible.
Parfois, on me demande : “Alors, ça change quoi d'être une femme réalisatrice sur le terrain ?”. En fait, je ne sais même pas si ça devrait être une question et si l’enjeu est vraiment là. Ce qui m'intéresse, c'est plutôt qu'on soit attentives et attentifs ensemble au fait qu'il n'y ait pas une seule narration. J’ai la volonté que le film documentaire animalier ne soit pas juste une grosse bête qui mange une petite bête. Il ne peut pas uniquement exister le discours du baroudeur, fait de superlatifs, pour dire à quel point il faut de la force et du courage pour braver les conditions difficiles d’un tournage. Il n’y a pas que cette histoire à raconter, on peut ouvrir de nouvelles formes de récits et, pour moi, l’intérêt est là.

EXTRAIT DE LA SÉRIE DÉMOCRATIES ANIMALES D’EMMA BAUS © COCOTTES MINUTE PRODUCTIONS
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