UN JURY AU COMPLET
Le 40e jury de la compétition de films du Festival de Ménigoute compte six personnes professionnelles venues par le cinéma ou par l'amour de la nature, et souvent un savant mélange des deux. En tant qu'amateur d'aventure et d'expédition, le capitaine du jury et cinéaste documentariste Bruno Vienne pourra compter sur une belle troupe ; Delphine Piau, monteuse de documentaires ; Didier Gobbo, biologiste-écologue et administrateur et trésorier de l'association Nos Oiseaux ; Daniela Ott, pédagogue par la nature et conseillère en éducation à la nature et membre du conseil d’administration de la fédération Connaître et Protéger la Nature ; Coraline Molinié, réalisatrice de documentaires et Bernard Marchiset, président de la LPO Bourgogne Franche-Comté et administrateur à la LPO France. Bon voyage au cœur de ces 44 films en compétition !
RENCONTRE AVEC BRUNO VIENNE, PRÉSIDENT DU JURY
Tombé dans la marmite du cinéma animalier quand il était petit, Bruno Vienne est réalisateur de documentaires avec une quarantaine de films à son actif. C'est en tant qu'assistant que le cinéaste a fait ses armes, et pas n'importe lesquelles. Sous l'aile du duo de Gérard Vienne, son oncle, et de son acolyte François Bel, le cinéaste participe à un cinéma animalier pionnier. Ici on ne se précipite pas, on saisit les contours d'un environnement avant de prétendre le capter en images et en sons. C'est une éthique qu'on chérit et un objectif aux antipodes des récits édulcorés ou anthropomorphiques : la vie transcrit, avec tout autant de magie.
BRUNO VIENNE © AVIJIT SARKAR
ENCHANTÉ.E !
J'avais six mois à peine quand mon père m'a emmené dans son sac-à-dos avec ma mère faire le massif du Grand Paradis dans les Alpes pour y filmer les bouquetins. Passer la première année de sa vie dans un sac-à-dos avec ses parents qui filment les animaux, ça imprègne et ça oriente peut-être un peu la suite. Ma famille s'intéressait beaucoup au cinéma animalier, assez rare à l'époque. Mon père et mon oncle Gérard Vienne se sont initiés au format 16mm en allant faire leurs premiers films dans les marais de la Picardie. Plus tard j'ai rejoint une école de photographie, l'école Louis-Lumière à Paris, et en parallèle je travaillais comme apprenti dans un laboratoire de photographie.
La grande aventure avec Gérard Vienne et François Bel
J'ai eu la chance inouïe d'être l'assistant des pionniers du cinéma animalier Gérard Vienne et François Bel sur leur film La Griffe et la Dent. Ma première mission était de charger les magasins avec les bobines de pellicules pour les caméras. Ensuite, je devais entretenir le matériel avec minutie puisque chaque bobine était précieuse et ne durait que quatre minutes. Tout devait être impeccable, des rouages aux caméras. Une de mes autres tâches était de transporter de lourdes charges car tout ce qui concernait la pellicule représentait un poids considérable, des tonnes de matériel pour se préparer à aller filmer en nature au milieu de réserves africaines pendant plusieurs mois.
Direction l'Afrique de l'Est. Ici comme dans beaucoup d'endroits du pays, et du monde, la colonisation a transformé les terres à sa guise. Les réserves créées délimitent des zones quasiment inhabitables pour la vie humaine, avec la présence de la mouche tsé-tsé, et sont dédiées à la vie sauvage et aux autochtones. Les tribus Samburu et Maasaï vivaient dans ces lieux et les respectaient, bien plus que les blancs qui y organisaient parfois de grandes chasses pour ramener des trophées.
Une logistique sur-mesure
Toute l'équipe du film, mais aussi la famille, les six enfants de Gérard Vienne, et une institutrice, venaient cohabiter dans un camp pour deux années. Les pistes étaient très difficiles d'accès. Le directeur de la réserve larguait le courrier quand il passait avec son avion bimoteur. Nous croisions quelquefois des Maasaï, mais c'était très rare de voir des activités humaines. Cet endroit était magique, à la fois pour une initiation au cinéma, mais aussi pour une immersion dans la nature encore préservée.
TOURNAGE DU FILM LA GRIFFE ET LA DENT © LES CINÉASTES ANIMALIERS ASSOCIÉS
Le matériel pour le tournage était arrivé par bateau au port de Mombasa. Tout avait été spécialement fabriqué pour le tournage afin de relever un défi : tourner pour la première fois dans la nature la nuit. Pour ce faire : un groupe électrogène de trois tonnes installé dans une remorque avec un projecteur surpuissant restituant la lumière du jour, et une caméra prête à filmer à l'arrière du camion. Dans un second véhicule : une potence articulée permettant de faire des suivis et des travellings, comme un steadycam géant. Les affûts se déroulaient principalement autour de marigots, là où les bêtes s'abreuvent, et près de charognes où l'odeur de la mort attirait les animaux.
Le matin du monde
Dans ces grandes réserves, les animaux sont venus à leur rythme. D'abord il y a eu les éléphants, ensuite les phacochères, les antilopes, puis les lions et toute une faune foisonnante que je découvrais pour la première fois dans son milieu naturel. Grâce à ce dispositif, nous pouvions documenter des comportements jamais captés auparavant, comme des chasses de nuit, des mises bas ou des migrations extraordinaires allant de la Tanzanie au Kenya. C'était la découverte de pans de nature entiers avec des millions d'animaux de la savane du Serengeti et du Masai Mara. Herbivores, carnivores, charognards… Chaque animal a sa place et complète la chaîne alimentaire. C'est une fausse idée de croire que les prédateurs sont voraces car la chasse est dure et les orgies sont rares. Cette interdépendance amène un équilibre où chaque être vivant prend seulement le nécessaire pour sa survie. La plaine se transforme au rythme des éléments et les animaux se déplacent en fonction de la pousse des végétaux. J'ai eu l'impression d'être au matin du monde.
Prendre le temps d'observer et de comprendre
Quand on arrivait dans les réserves, Gérard Vienne et François Bel nous disaient "On ne tourne pas pendant une semaine. Vous ne tournez pas, vous observez." C'était comme un livre qui s'ouvrait pour nous et une attention qu'il fallait développer. Après avoir regardé la nature, on voyait les signes, où il allait se passer quelque chose et ce qui allait se passer sur cette immense scène sauvage.
Il y avait vraiment chez Gérard Vienne et François Bel une passion du bricolage au service de l'image et de l'immersion, autant que pour la nature. Aujourd'hui, les jeunes cinéastes sont envoyés avec une caméra au bout du monde et on leur demande de ramener de supers images. Ce qu'ils font d'ailleurs très bien, ce n'est pas une critique, mais il me semble qu'il y a beaucoup de pression au niveau des productions pour faire un film rapidement. Cette différence de temporalité induit l'opportunité de comprendre, de se mettre à la place des animaux, et de se fondre pour éviter de déranger et découvrir des scènes magnifiques. Maintenant, il y a beaucoup de trucages pour être plus efficace, pour gagner du temps et faire "mieux". Je pense notamment à l'utilisation d'animaux "imprégnés", habitués à l'humain. Le deuxième écueil aujourd'hui, c'est qu'il y a une telle démographie que les endroits un peu privilégiés sont très convoités par le tourisme et le territoire des animaux sauvages se réduit. Avant nous regardions où étaient les vautours pour savoir où étaient les lions, maintenant nous regardons où sont les touristes pour savoir où sont les lions. Paul Watson, avec qui j'ai tourné le film L'oeil du cachalot, me disait aussi "Au début l'humain était entouré par les animaux sauvages, maintenant c'est l'humain qui entoure les animaux sauvages".
IMAGE EXTRAITE DU FILM LA GRIFFE ET LA DENT © BRUNO VIENNE
D'expédition en expédition
J'ai continué ma carrière de cinéaste animalier en intermittence car les tournages ne durent qu'un temps. J'ai fait d'autres petits boulots, pas toujours dans le cinéma. J'ai travaillé pour des émissions pour la télévision scolaire qui avaient pour but de donner envie de lire aux jeunes. Puis mon oncle Gérard Vienne m'a proposé de repartir avec lui en Afrique, dans la réserve de l'Akagera au Rwanda pour une série d'Antenne 2. Lors d'une autre expérience, toujours au Rwanda, nous avons croisé la célèbre primatologue Dian Fossey et une de ses élèves qui étudiait un groupe de gorilles sur le mont Bisoke. C'est sur ce volcan que nous avons relevé le défi de faire des plans en montgolfière, c'était bien avant l'invention du drone, un vrai challenge.
Je suis devenu réalisateur et chacun de mes films m'a marqué à sa façon. D'abord, mon premier, tourné au Tibet en suivant un lama tibétain qui revenait dans son pays après trente ans d'exil, Retour au Kham. Mon deuxième, Frère loup, sur la réhabilitation de l'animal. Puis aussi, Sur la trace de l'ours à lunettes, une expédition menée à dos de cheval et de lama sur les contreforts des Andes au Pérou. J'ai aussi fait des films sur le bouddhisme tibétain auquel je suis sensible, comme L'enfance d'un maître. Je me rends bien compte de la chance que j'ai eu d'aller dans des endroits tous plus incroyables les uns que les autres.
Le voyage qui m'aura sans doute le plus marqué est celui de mon film Prisonniers volontaires de la banquise, où j'ai fait partie de la dérive arctique du bateau Tara pendant neuf mois. Cette expérience à vocation scientifique nous a fait éprouver la banquise et la tourmente de l'hiver polaire. Toute l'équipe avait signé une décharge car ce n'était pas possible de venir nous récupérer, c'était la glace qui décidait pour nous. Autour, des aurores boréales et des Ours blancs, le silence entrecoupé seulement par les bruits inquiétants des plaques de glace qui s'entrechoquent et font pression sur la coque du bateau. Pour moi, le cinéma est comme une peinture en mouvement. C'est un mouvement de la vie qu'on peut transmettre à nos congénères. J'aime ramener des images et raconter une histoire comme le font les conteurs.
PREMIER HIVERNAGE DE TARA © BRUNO VIENNE
L'EXPÉRIENCE AU FESTIVAL DE MÉNIGOUTE
J'ai beaucoup entendu parler du Festival de Ménigoute avant de pouvoir y venir. D'abord par mes compères Philippe Barbeau et Martine Todisco, ingénieur.es du son dans le domaine du cinéma animalier. Aussi parce que l'un de mes films avait été sélectionné alors que j'étais en expédition il y a plusieurs années. La première fois que j'ai eu l'occasion d'y participer, c'était en 2022, grâce à la Fondation François Bel dont je fais partie avec Catherine Sauvin et Patrick Ladoucette. Nous avons diffusé La Griffe et la Dent et il y avait plus de mille personnes dans la salle, c'était magique. L'année suivante, nous avons fait la même chose avec Le territoire des autres. J'ai été frappé par l'ambiance grandiose de ce Festival. On y rencontre des personnes passionnées qui font exister l'événement et qui partagent leurs connaissances.
L'oeuvre découverte au Festival de Ménigoute
J'ai eu l'occasion de voir le beau film qu'a présenté la promotion sortante de l'IFFCAM et que nous avons soutenu avec la Fondation François Bel, Sans faire de vagues réalisé par Capucine Binczak et Florent Rocchi. J'ai beaucoup aimé la qualité du film et voir l'intérêt des festivalières et des festivaliers. Il y a une vraie transmission de la passion du cinéma et de la nature.
La rencontre faite au Festival de Ménigoute
Bravo à Dominique et à Marie-Christine Brouard qui ont fondé le Festival, et aussi à toutes les personnes qui le font durer depuis bientôt quarante ans. L'accueil est toujours très sympathique et j'apprécie vraiment ce côté humain et toujours d'attaque à défendre la nature, je trouve ça magnifique.
POUR ALLER PLUS LOIN
La recommandation
J'encourage à continuer à voir davantage de films sur la nature et à en créer et agrandir les fenêtres de diffusion. Il y a de nouveaux cinéastes, comme les élèves de l'école de l'IFFCAM, qui font de très belles choses. Je crois que ce qui importe c'est de comprendre que ce n'est pas la technique qui compte et qu'à un moment donné elle nous dépasse. Il faut sentir que la nature nous nourrit et que nous en faisons partie.
L'actualité
Cette année, je préside le jury de la 40e édition du Festival de Ménigoute. C'est toujours agréable de rencontrer d'autres professionnel.les et de confronter nos points de vue. Je ne suis pas dans le jugement, plutôt dans l'accueil pour honorer la confiance que vont nous faire ces réalisatrices et ces réalisateurs. Je sais la valeur de chacun de ces films et de tout ce qu'on peut mettre de soi lors du processus de création avec une équipe. Chaque film mérite le grand prix pour le challenge que ça représente, mais ce que j'aime remarquer et mettre en valeur c'est l'innovation et ce qui surprend le public. |